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Changement de culte

Édifié de 1613 à 1643 - pour pacifier une région ayant par trop tendance à mener les femmes au bûcher, et calmer deux communes s’affrontant sur la domination du port - l’ancien couvent des Récollets qui balise la limite entre Ciboure et Saint-Jean-de-Luz est désormais consacré à un nouveau culte : l’Architecture et le Patrimoine.

L’ancien couvent portuaire ouvre au public à l’occasion de la Toussaint. Il s’agit de la restructuration d’un ensemble conventuel dégradé sous la Révolution, puis au XXe siècle par divers occupants indélicats. Le couvent fut saccagé, sa bibliothèque dispersée et les Frères mineurs Récollets (ordre mendiant de droit pontifical, issu d’une réforme de l’ordre Franciscain à la fin du XVIe siècle) furent expulsés, Les bâtiments furent ensuite utilisés comme caserne et prison. L’ancienne chapelle devint un dépôt de fourrage au début du XIXe siècle. L’aile sud fut démolie en 1820. Les espaces donnant sur le cloître abritèrent ensuite des logements et les locaux de la douane portuaire, tandis que la chapelle devenait, en 1900, une usine de salaisons. Diverses parcelles seront ensuite mises en vente. À la fin du XIXe siècle, les bâtiments paraissent définitivement défigurés et dégradés.

De jolies ruines

Les dégâts causés par cette sécularisation forcée avaient toutefois épargné partiellement le cloître avec son puits-citerne financé par Mazarin en 1662 – situé au milieu de la cour. Quant à la chapelle de grande dimension, rectangulaire, elle permettait d’envisager une restauration, de même pour le petit clocheton sur le pignon ouest. L’analyse du site justifiait aussi de tirer parti de la résidence des hôtes (dite « maison des évêques » construite en 1675) donnant du côté du port de Saint-Jean-de-Luz. Des fragments de décors peints exceptionnels dans l'ancienne bibliothèque, située dans l'aile ouest, découverts lors des analyses préalables aux travaux de restauration, ont achevé de justifier la décision du Syndicat de la baie de Saint-Jean-de Luz et Ciboure, de réhabiliter cet ensemble pourtant bien malmené par l’Histoire.

Une belle facture

C’est l’Agence Arts & Sites, dirigée par Rémi Desalbres, spécialisée dans la réhabilitation des sites patrimoniaux et des monuments historiques, qui a gagné le concours de réhabilitation faisant du couvent un Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP) destiné à mettre en valeur le site, l’histoire maritime ainsi que l’évolution urbaine et architecturale des deux villes (Ciboure et Saint-Jean-de-Luz). Le couvent abrite également quatre salles d’exposition et un atelier pédagogique, accolés à une salle dédiée à la culture. Le tout sur 4600 m2.

Deux ans de travaux 7,5 millions d'euros, dont plus d'un million d'euros abondés par l'État, 800.000 euros apportés conjointement par la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département des Pyrénées-Atlantiques, le reste étant à la charge des deux communes. Une jolie somme pour un résultat d’une belle facture architecturale restituant au site son allure d’antan tout en le reliant à la modernité avec le bâtiment d’entrée du CIAP édifié en pans de bois, rappelant les charpentes basques et les chantiers navals. Le cloître a retrouvé ses dispositions anciennes, tout comme la citerne et son socle en pierre qui ont été restaurés. L’ancienne chapelle, transformée en auditorium polyvalent (jauge 320 places) permet d’accueillir des évènements culturels et musicaux, grâce à des gradins escamotables et à une correction acoustique performante.

Le chantier fût difficile, exigeant une progression quasi archéologique en regard de la découverte de décors cachés désormais valorisés par l’élégance de la restauration associant la pierre, le bois et le métal, le lisse et le rugueux. Le couvent était consacré à la Paix, sa sécularisation l’ouvre au dialogue des matériaux et des volumes.

 

Moines protecteurs des femmes

Mise à part son implantation exceptionnelle sur une île de la Nivelle - aujourd’hui presqu’île - donnant directement sur le port de Ciboure d'un côté, et de l'autre sur le port de Saint-Jean-de-Luz, la construction du couvent des Récollets (4600 m²) et ses aménagements successifs relève autant de la géopolitique d’un port encaissé à la frontière espagnole que de la politique intérieure.

C’est en 1611 que fut décidée la construction du couvent pour rétablir le calme entre les deux paroisses rivales qui contestaient la répartition des droits du port. Ce fut longtemps la version officielle, une sorte de Clochemerle en Pays basque ! La chapelle fut, en conséquence, consacrée à Notre-Dame-de-la-Paix.  La réalité semble pourtant relever d’autres raisons, tout à la fois politiques et religieuses. En 1608 des tensions ont éclaté entre Tristan d’Urtubie, seigneur d’Urrugne, et le conseil municipal de Saint-Jean-de-Luz. L’animosité est à son comble, chaque partie s’accuse de sorcellerie auprès du parlement royal de Bordeaux. L’année suivante Henri IV envoie deux émissaires, dont le juge Pierre de Lancre, misogyne notoire, pour éradiquer les « sorcières » de la province.  Il a le pouvoir de condamner à mort sans appel tous les suppôts de Satan. C’est le retour de l’Inquisition ! Un mouvement analogue est déclenché au même moment par l’Espagne, à Logroño, qui rétablit le Tribunal de l’Inquisition de Navarre et organise un autodafé (14 « sorcières » brûlées vives) auquel assistent 30 000 spectateurs ! En Pays basque, les arrestations de femmes convaincues de sorcellerie par dénonciation se comptent par centaines entre juin et octobre 1609, époque de l’année à laquelle les marins-pêcheurs sont en mer. Selon les historiens, cette justice expéditive a envoyé près de 200 femmes et jeunes filles sur le bûcher, brûlées vives ou écartelées, en raison de leurs mœurs réputées sataniques. Ce fut le plus important féminicide des Temps Modernes longtemps occulté par l’histoire officielle avec l’image du « Bon roi Henri » et de sa poule au pot.C’est dans ce contexte délétère qu’en 1611, les deux communes rivales - Saint-Jean-de-Luz et Ciboure - accueillent les Frères Récollets (du latin recolligere, revenir à soi) qui entendaient se recueillir dans leurs couvents pour se livrer à la récollection, dans la prière et la méditation.

Lorsque lInfante paraît...

Un demi-siècle plus tard, le couvent des Récollets connaitra son heure de gloire en 1659, grâce à Mazarin qui négociait avec l’Espagne le Traité des Pyrénées sur la Bidassoa. L’Isle des Faisans où fut préparé le mariage de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne fut le rendez-vous le plus chic du XVIIe, le roi, dit la chronique, vint même se recueillir dans la chapelle N.D. de la Paix des Récollets la veille de la cérémonie qui eut lieu à Saint-Jean-de-Luz le 9 juin 1660.  J.-C. R.

 

 

 

 

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