
Sculpter le vide
À Marseille, au musée Cantini, l’exposition Alberto Giacometti – sculpter le vide questionne le rapport du corps à l’espace dans l’œuvre du sculpteur et plus avant, le rôle du vide dans perception des formes.
Le musée Cantini propose à Marseille depuis le 6 juin jusqu’au 28 septembre une exposition aux multiples lectures : « Alberto Giacometti – sculpter le vide ». On peut la visiter en admirant les œuvres présentées pour la première fois dans un musée marseillais ; juste en se laissant guider par le regard retrouvant ici et là des œuvres connues, sans se poser de question en déambulant dans les salles du musée l’air pénétré … Il y a aussi la lecture plus philosophique ou phénoménologique de l’œuvre de Giacometti. Le titre de l’exposition nous met sur la voie. « Sculpter le vide ». Les sculptures réalisées sont alors perçues comme des interstices entre plusieurs vides.
L’introduction à l’exposition avertit : « Alberto Giacometti (1901-1966) avait « l’obsession du vide » (Jean-Paul Sartre, « Les Peintures de Giacometti »). Il n’a cessé d’« éprouver l’espace », tentant de saisir une réalité mouvante. Artiste du « Vide », dont le travail est « une façon d’éprouver l’espace » selon Jean-Paul Sartre, Giacometti conçoit des espaces imaginaires d’où émergent des formes, des figures et personnages souvent isolés et indissociables de leur environnement. Dans ses sculptures comme dans ses œuvres dessinées et peintes, le vide est un outil pour l’artiste, déclarent les commissaires d’exposition.
L’intervalle définit l’harmonie et l’équilibre
C’est un peu comme le concept japonais du Ma, où c’est l’intervalle qui crée l’harmonie et l’équilibre, en musique comme en dessin ou en sculptures. La sculpture ou le dessin n’apparaissent pour Alberto Giacometti que dans l’intervalle entre deux ou plusieurs vides. L’intervalle est l’unité fondamentale mise en pratique. Il place ses sculptures comme des espaces pleins entre plusieurs zones vides. C’est une clé de lecture de son œuvre.
Les professeurs de dessin des beaux-arts, expliquent sur Internet qu’à partir d’un modèle en « dessinant un seul vide, vous pouvez positionner en même temps un bras, un buste, un bassin, une cuisse et un arc, connectant solidement ensemble ces différents éléments ». Dans les Écritures le néant forme le cadre de « quelque-chose » dans sa forme la plus subtile. L’auteur de L’Etre et le Néant, passionné par la présence du vide par Giacometti, ne nous contredira pas si l’on affirme que l’être, la sculpture ou la forme du dessin réalisé, n’existe que par ce qui est autour, en l’occurrence le néant, le vide. Nous y voilà.
Un parcours au cœur de l’espace et du silence
Pensée comme une traversée sensorielle et introspective, l’exposition dévoile un ensemble exceptionnel d’œuvres — sculptures en plâtre et en bronze, peintures, dessins, estampes — qui explore la notion de vide. Les premières salles montrent son évolution. De sa période cubiste la femme-plaque et la femme-cuillère à la période surréaliste, la lectrice du vide. « Des sculptures de jeunesse aux œuvres surréalistes et aux silhouettes filiformes des dernières années, le parcours de l’exposition révèle son attention constante à l’espace enveloppant les figures, aux rapports d’échelle et à la distance entre les êtres et les choses », soulignent les commissaires d’exposition.
Rappelant la série des « plaques », Objet (1931-1932) conserve encore une forme pleine et compacte. D’autres sculptures se déploient en compositions plus ouvertes dans lesquelles le vide joue un rôle structurant, à l’instar de Femme couchée qui rêve (1929) ou de la fragile Fleur en danger (1932). Au cours de ces années, Giacometti élabore un dispositif de cage qui permet de contenir la sculpture dans l’espace et d’en accroître la densité, comme en témoigne Boule suspendue (1930-1931). Cette démarche trouve un point d’achèvement avec l’espace vacant contenu entre les mains de la figure de L’Objet invisible (1934-1935), aussi appelée « Mains tenant le vide ». Proche d’André Breton et des surréalistes dont il deviendra un membre actif il définit sa recherche dans un poème en prose : « je cherche en tâtonnant à attraper dans le vide le fil blanc invisible du merveilleux qui vibre et duquel s’échappent les faits et les rêves avec le bruit d’un ruisseau sur de petits cailloux précieux et vivants ».
Seul le regard compte
Avec un génial acharnement, Alberto Giacometti a quêté le mystère de la vie dans le regard humain. « Seul le regard compte », disait Giacometti dans une vidéo présentée en fin d’exposition. « On a la volonté de sculpter un vivant, mais dans le vivant il n’y a pas de doute, ce qui le fait vivant, c’est son regard ». Il parle du regard, pas des yeux. Il n’aime pas l’œil du Scribe accroupi, sculpture égyptienne fameuse, qui est en verre. Il lui préfère un masque des Nouvelles-Hébrides qui ne s’est pas contenté de « l’imitation d’un œil » : il a fait de la tête tout entière « le support du regard » même si les yeux sont remplacés par des coquillages. « si tu fais l’œil précis tu risques d’abolir ce que tu cherches, c’est-à-dire le regard… Donner une expression aux yeux, c’est une transformation complète », ajoute-t-il énigmatique.
Alberto Giacometti – sculpter le vide, jusqu’au 28 septembre 2025, musée Cantini, 19 rue Grignan 13006 Marseille.Du mardi au dimanche de 9h à 18h - Tarif plein : 6 € - Tarif réduit : 3 €Gratuit le 1er jour de l'exposition et chaque premier dimanche du mois
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