
Tatou'Art !
Longtemps relégué à un art primitif, signe de marginalité, le tatouage entre par la grande porte dans l’histoire de l’art à Marseille. Au musée de la Vieille Charité, l’exposition Tatouage – histoire de la Méditerranée révèle - des corps antiques marqués de gré ou de force aux œuvres des créateurs contemporains - le pouvoir de transmission, d’identification, de subversion de cette forme artistique méconnue et souvent mal perçue. Les non tatoués sont les bienvenus.
C’est la simple et somptueuse robe noire créée par Yacine Aouadi pour servir la féminité de Cate Blanchett lors de la présentation de Carol le film de Todd Haynes, qui vous accueille dans l’exposition. Ses manches ajourées brodées de motifs spécifiques aux tatouages ornementaux modernes donnent immédiatement le ton : le tatouage n’est pas réservé aux voyous.
Wahil, 2017 ©️ Wahil, Marseille, 2017 Yohanne Lamoulère/Tendance Floue
Expression de soi, de son identité, signe de ralliement ou d’appartenance à un collectif, le tatouage interroge le corps comme support d’art et d’intimité
Marqueur de pouvoir autant que d’intimité
Le tatouage traverse les âges, les territoires et les sociétés. Consécutivement transgressif, protecteur, médicinal, sacré, ornemental, sa résurgence contemporaine parle en profondeur du besoin renouvelé d’identité, de mémoire et de narration de soi. Le mot « tatouage » a été introduit dans la langue française à la fin du XVIIIe siècle, dérivé du terme polynésien « ta-atua » rapporté par James Cook. Mais il s’agit pour l’heure du pourtour méditerranéen. Aucun lien avec les tatouages des îles du pacifique, ni d’ailleurs. L’exposition retrace l’histoire fragmentée du tatouage en Méditerranée, à travers techniques, usages, circulations culturelles et motifs partagés entre l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Dès l’Antiquité, le tatouage est porteur d’enjeux rhétoriques et politiques : les représentations associées au pouvoir, à la soumission ou à l’émancipation sont au cœur de l’exposition, qui mobilise les apports des études postcoloniales. En Grèce antique et dans l’Empire romain, « le tatouage avait aussi une fonction stigmatisante, marquant les individus considérés comme monstrueux, étrangers, criminels, ou esclaves. » est-il écrit dès l’entrée de la première salle du musée. Chez les Grecs anciens, on parlait de « stigma » servant à marquer, souvent au fer rouge, des esclaves, du bétail, ou des criminels. Le tatouage entre au musée non plus comme une curiosité ethnographique, un geste esthétique ou un stigmate social mais comme un langage à part entière, digne d’un regard critique, d’une mémoire collective, d’une valeur patrimoniale assumée : « c’est un acte politique, historique et culturel », précise Nicolas Misery commissaire général et scientifique, directeur des musées de Marseille.
Constantin Jean Marie Prévost Le tatouage du matelot, vers 1830©️Mairie de Toulouse, musée des Augustins
Empreinte du métissage
Au fil des salles, l’exposition suit le fil rouge d’un récit complexe qui mêle anthropologie, histoire de l’art, archéologie ou encore les récits de colonisation et de décolonisation. Une multitude de récits fragmentaires s’accordent et s’unissent sous nos yeux. De l'Italie à l'Algérie, des Balkans à l'Iran, de l'Espagne à Chypre, on explore les pratiques du tatouage de l'Antiquité à la culture contemporaine, depuis les premières traces retrouvées en Égypte en Syrie et dans les Cyclades. On peut suivre l’évolution de ses usages médicaux, religieux, politiques puis esthétiques. On peut comprendre comment le tatouage est devenu l'expression de l'identité marseillaise dépassant les notions d'ornement, de prophylaxie, de condamnation qui lui sont attachées. Il devient ainsi le puissant révélateur des circulations, des échanges, des conflits et des métissages qui ont façonné notre région du monde. Comme l’écrit Nicolas Misery « Faire entrer le tatouage au cœur des musées, c’est raconter la façon dont il illustre les dominations et les émancipations, comment il relie les histoires intimes à celles, collectives, puissantes, des échanges culturels, des migrations et des colonisations. Marseille devient le cadre idéal pour honorer cet art universel mis au ban durant trop longtemps. Parce qu’ici, le tatouage n’est plus simplement un art du corps : il est un art de la ville, une manière d’habiter et d’être habité, de concevoir son existence dans le collectif, dans le peuple d’une cité ».
Afrique du Nord inspirée
Robe créée par Yacine Aouadi pour Cate Blanchett, portée lors de la présentation de Carol, film de Todd Haynes, au 53ème festival de New-York, 2015 - Photo ZAL©️
En Afrique du nord, l’évolution du tatouage amazigh (berbère) a inspiré nombre d’artistes. En Algérie, au Maroc, en Tunisie, trois générations de créateurs – Samta Benyahia, Farid Belkahia, Mohammed Ben Meftah, Ahmed Cherkaoui ou Denis Martinez – ont puisé dans le tatouage un langage artistique contemporain, porteur d’une mémoire populaire, spirituelle et souvent féministe. Cela n’a pas échappé aux commissaires de l’exposition : « Le tatouage est une pratique profondément enracinée dans les traditions amazighes du Maghreb, couvrant des régions telles que l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, ainsi que certaines parties du Mali, de la Mauritanie et du Niger. Pratiqué depuis le Néolithique, il se caractérise par des motifs géométriques inspirés de l’alphabet tifinagh, comme des cercles et des chevrons. Principalement réservé aux femmes, le tatouage marque des étapes importantes de la vie, telles que le statut social et la situation maritale, tout en ayant une dimension spirituelle, offrant une protection contre le mauvais œil. Bien que la pratique ait diminué au XXe siècle, elle connaît aujourd’hui un renouveau, particulièrement parmi les jeunes et les diasporas, comme un moyen de réappropriation du patrimoine culturel et de fierté ».
Tatouage – histoire de la Méditerranée, jusqu‘au 28 septembre 2025 - Centre de la Vieille Charité, 2 rue de la Charité - 13002 Marseille
Ouvert du mardi au dimanche de 9h à 18h. Gratuit le 1er dimanche du mois. Tél. : 04 91 14 58 80
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